dimanche 29 mars 2009

Web, Ruptures et Faux-semblants

Facebook, Twitter, gmail, Skype, etc: que signifie à l'heure actuelle dire que l'on effectue une rupture dans sa vie? Est-il possible de parler encore de rupture lorsque l'on continue de recevoir de manière régulièrement sure des nouvelles de tous ceux que l'on a connu un jour, qu'ils aient comptés ou non dans notre vie? Lorsque nous savons qu'à tout moment, il nous est possible de les joindre et de les voir en direct sur notre écran, quel sens donner à l'éloignement physique?

Cette question devient réellement préoccupante lorsqu'il s'agit d'une rupture amoureuse, car dès lors, le risque de manquer de l'espace nécessaire à une reconstruction saine et indépendante est grand. C'est sans doute un des motifs d'abandon soudain d'activité dans les systèmes de type réseaux sociaux, tel Facebook. Qui ne connaît pas d'exemple parmi sa liste de contacts d'un "ami" naguère prolixe en publications mais désormais muet comme un cadavre de carpe au fond d'un rift océanique?

Mais mon propos va plus loin que la rupture amoureuse. Il est des situations où nous sommes au contraire bien aises de disposer de tels outils. C'est en premier lieu le cas lorsque l'on change brusquement d'environnement physique après une longue période d'acclimatation. Cette période nous a vu tisser des liens importants avec certaines personnes, et parfois même très profonds avec un petit nombre d'entre elles. Quitter cet environnement de confort et de certitudes, où nous savions que nous pouvions d'un simple coup de fil partir déjeuner/faire les magasins/dîner/sortir en soirée ou autres avec ses amis, voilà qui est difficile à admettre.

Ce n'est pas tant le fait d'avoir à se faire une place ailleurs qui nous effraye (quoique?). La question obsédante est bien plutôt: "Que restera-t-il de mes amitiés, de toutes celles qui ont fait de moi ce que je suis maintenant?". Nous savons que les choses seront nécessairement différentes après, mais jusqu'à quel point? Si l'on considère l'ensemble de la situation comme un système dynamique décrit par je-ne-sais-quelle équation différentielle vraisemblablement chaotique, dès lors que je ne serais plus en interaction avec quelqu'un, nos deux trajectoires respectives divergeront exponentiellement (sous certaines conditions néanmoins très faibles). Autrement dit, nous n'auront plus rien en commun en quelques années.

Certes, nous ne sommes pas si bêtement déterministes. Nous disposons d'une volonté que l'on aime à croire propre, et qui nous permet de dire, en toutes circonstances "un tel est mon ami, je l'estime et je l'apprécie, etc". Mais la question se pose toujours. Dans ce cadre là, garder des liens grâce au web est une chance. Sans doute pas par les réseaux sociaux, qui ne fonctionnent en dernière analyse que parce qu'il existe une réalité physique réunissant les protagonistes (pensez à toutes ces conversations -creuses- à propos de Facebook à table!), mais bien plutôt grâce aux Skype et autres joyeusetés algorithmiques de traitement des signaux. Malheureusement, même la meilleure des webcams, le meilleur des micros, et la meilleure des connections internet ne remplacera pas une chose aussi triviale qu'un déjeuner entre amis.

Non, internet n'est pas ce lieu qui abolit les distances entre les gens. Il ne saurait l'être, puisque nous avons tous besoin de cette distance, si difficile soit-elle à accepter. En revanche, et pour finir sur une note positive, je ne sais quel écrivain/physicien faisait la comparaison romanesque entre deux cœurs amoureux et deux particules quantiques intriqués. La non-localité du comportement de la paire fera que si grande soit la distance entre les deux cœurs, aucun des deux n'oubliera jamais l'autre...