vendredi 10 avril 2009

Le mystère des cadavres de pigeons manquants

Vous êtes vous déjà demandés où pouvaient bien aller mourir tous ces pigeons des villes, et comment se fait-il qu'on ne croise que si rarement leurs cadavres? Serait-il possible que ces volatiles préfèrent finir leurs jours dans des endroits inaccessibles, comme les gouttières et les recoins des monuments publics par exemple?

En réalité il n'en est rien, et l'explication est quelque peu décevante pour les esprits fantasques qui s'imaginaient déjà les toits de Paris comme un cimetière de pigeons géant. C'est plutôt du côté de la théorie des files d'attente et plus précisément de la loi de Little qu'il faut attendre la solution.

Prenons un cas concret: la ville de Paris. Vous savez qu'il existe environ 80,000 pigeons à Paris. Pour les biens de la cause, vous supposez que cette population est relativement stable, à savoir qu'il y a autant de naissances que de morts, sans vous préoccuper de la mortalité infantile chez les pigeons... Vous savez aussi, ou plutôt vous allez apprendre, que la durée de vie moyenne d'un pigeon est de l'ordre de 7 ans en ville (chiffres de la mairie de Paris - profitez-en pour apprendre à différencier le roucoulement des pigeons ramier et biset!).

En déduire le nombre de décès par jour est alors chose facile, pour peu que vous pensiez le système comme une file d'attente: les naissances correspondent à une arrivée de pigeons dans la file, leur vie comme l'attente dans la file et leur mort comme la sortie de celle-ci. Nous sommes parfaitement dans les conditions d'application de la loi de Little (on ne nous en demande pas trop de ce côté là). On trouve un taux de mortalité $\lambda$ de :

$\lambda=\frac{80000}{7 \times 365} \simeq 30$ pigeons/jour

Ouf! Les services de propreté de la ville de Paris pourront faire face à cette charge de travail et nous ne succomberons pas sous le poids des cadavres de si tôt.

Pour finir de se convaincre qu'il n'existe pas de mystère pigeon, on peut estimer le nombre de cadavres de pigeons croisés du regard en un an de vie parisienne. On suppose que l'on regarde assez attentivement pour y repérer un pigeon mort l'équivalent de la surface de la place de grève ($6.10^3 m^2$) tous les jours. L'approximation est justifiée étant donné notre capacité d'attention limitée et l'efficacité relative du service de propreté. La superficie de Paris étant de $105 km^2$, on a :

$N=365 \times 30 \times \frac{6.10^3 }{105.10^6} \simeq 1$

On tombe en moyenne sur 1 cadavre de pigeon par an, à moins de passer son temps à les chercher. Le mystère étant désormais résolu, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles.